Bouteille de gaz

Je les vois arriver de loin ces deux gars, ils nous enlèvent, il faut dire que mes copines et moi on traine depuis des mois dans les ronces, on est stockées dans un terrain forêt vierge, les proprios appellent ça une recyclerie, mais je n’ai jamais compris le principe… bradées ! on est bradées ! tout ça parce que l’on est vide ; même les guêpes font leurs nids dans nos anses. pourquoi nous emmènent-ils toutes ? ce n’est pas très rassurant ; entassées dans le combi, débarquées, ouvertes à tous les vents on n’est pas très rutilantes, on appelle ça nous dégazer ; En fait, on est dans un atelier d’art, c’est marqué sur la façade « les ateliers du joyeux Jour- d’Hui » c’est plutôt chouette ; un homme et une femme travaillent ici, c’est l’effervescence pour moi, je tangue comme une bouteille à la mer échappée de la recycle-rit ; ma carcasse en acier est réemployée, découpée en trois parties mes calottes supérieure et inférieure sont mises de côté ; Je suis meulée, nettoyée de ma peinture, fendus mes 2 dômes bombés, le bas et le haut sont soudés, puis percés, poncés ;  je vois l’homme, il tend l’oreille, il guette mes sons craintifs, cristallins ou sourds, il me caresse de ses maillets de caoutchouc,  il me dit : « ça y est tu es accordée » , puis la femme arrive, elle  avive mon métal, je suis dessinée comme maquillée, gravée comme tatouée, estampillée comme une œuvre d’art, signée, je suis finie…Je sais ce que je suis, d’utile je passe à ma suite, maintenant je raisonne comme un tambour de métal, un steal drum, vendu sur les marchés, admiré, cajolé ; bruissant aux bouts des doigts, les maillets fantochent mes notes profondes et éphémères.  Je suis heureuse de ma future vie d’artiste, instrument de musique ça le fait... Et pourtant je suis absente une partie de moi est ailleurs, est-elle re-recyclée ou perdue-broyée-rouillée ? … et puis là, non, mais c’est toi ? incroyable ! qu’est-ce que tu as changé ? mon cylindre manquant est sur le stand d’à côté, avec la femme qui lui a refait une beauté, en arbres elle l’a transformée, 2 promeneurs en dessous profitent de l’ombre ; ma moitié me raconte sa folle journée : le dessin ébauché sur son ventre, la découpe plasma en millier d’étincelles, couvée par cette femme masquée, couverte de scintilles, puis la meuleuse pour nettoyer les scories, vernissée de velours pour ses derniers atours ; quelle légèreté, je suis fière de nous et de nos 2 créateurs : Chloé la ténacité du rendu parfait fait oublier les prouesses techniques, sa sureté du trait fait naitre l’émotion du beau, Steevo tu es un chercheur d’or pour nos oreilles, un troubadour ?…voilà les amis c’est ma seconde existence, pas mal pour une bouteille de gaz,  je fredonnerais de mes nouvelles à mon prochain concert ou alors  vous me verrez sur un buffet, vous me sourirez, touchés par la grâce du vent dans les feuilles des 2 arbres d’ acier… et si un jour vous ouvrez la porte de leur atelier, c’est comme si vous me serriez la main, c’est ma poignée de portage que vous étreindrez sur le montant de bois…      

                                                                                                       Patrice Alecki     Eymoutiers le 13 03 23